L’affaire Caimanes

L’industrie minière est toute puissante au Chili. En achetant les pouvoirs politiques, en détournant les pouvoirs juridiques à son avantage, en méprisant les droits les plus élémentaires des communautés près desquelles les mines s’installent, elle anéantit tout sur son passage. Le petit village de Caimanes en est un exemple parfait et tente tant bien que mal de lutter contre cette hégémonie destructrice.
Sollicitée par l’association FAL (France-Amérique Latine), association impliquée dans la vie politique et sociale des différents pays d’Amérique Latine, Terra Chile a eu l’occasion d’organiser pour un groupe de 13 personnes une rencontre avec la communauté de Caimanes (environ 1600 habitants, Nord du Chili).
Alors que la IVème région possède bien d’autres trésors touristiques que ce petit village, le groupe de voyageurs, désireux de partir à la rencontre d’un Chili authentique, a insisté pour s’y rendre. En effet, ils avaient tous entendu parler de la lutte que mène la communauté contre la mine Los Pelambres ; notamment grâce à la vidéo réalisée par Dominique Gautier et Jean Ortiz.

La communauté de Caimanes, composée principalement d’agriculteurs, est depuis quelques années privée d’eau. Ses habitants prétendent que la mine Los Pelambres a asséché le cours d’eau qui passait dans le village, le Pupio, et revendiquent également que le peu qui lui reste est contaminé par ses activités. Caimanes lutte ainsi depuis 2000 contre la mine pour récupérer son eau. Comment, et pourquoi en sont-ils arrivés là ?

En 2000, la mine Los Pelambres, appartenant pour 60% à la multinationale Antofagasta Minerals, elle-même appartenant à la famille la plus fortunée du Chili – et la 35ème fortune mondiale, a le projet de construire un bassin de collection de déchets toxiques à 8 km du village de Caimanes. Les villageois décident alors de former une assemblée constituée de représentants du village pour lutter contre sa construction, et portent l’affaire devant les tribunaux. C’est ainsi qu’en 2006, la Cour d’Appel de Santiago interdit à la mine d’édifier le bassin, suivant le Código de Aguas de 1981.
La mine, allant à l’encontre de la décision de la Cour d’Appel, verse alors au leader de l’assemblée la somme extravagante de 23 millions de dollars, qui accepte d’arrêter toutes les démarches légales entreprises, et ce, sans consulter la communauté entière de Caimanes. Ensuite, il répartit 5 millions de dollars arbitrairement entre les représentants de l’assemblée, et s’approprie les 18 millions de dollars restant. Ce pot-de-vin scelle ainsi la construction du bassin de collection des déchets et marque le début des problèmes de Caimanes.

La communauté, divisée par l’argent distribué par la mine s’affaiblit alors que la construction du barrage est presque terminée. De plus, Los Pelambres enfreint lors du procédé plusieurs des normes de sécurité nécessaires à la construction du bassin : l’eau présente dans le déversoir filtre dans les sols et les contamine ainsi que les eaux souterraines, tandis que le mur fermant le bassin ne respecte pas les normes sismiques (il ne peut résister qu’à un tremblement de terre inférieur à 7,2 sur l’échelle de Richter). Il est intéressant de savoir, que pour des raisons géographiques et géologiques, les tremblements de terre sont relativement fréquents au Chili : depuis 1995, le Chili a connu 5 tremblements de terre de magnitude supérieure à 7 sur l’échelle de Richter. Ce critère ne peut donc pas passer à la trappe.
Parce qu’elle contamine ses eaux (présence d’arsenic, d’oxide, de sicilium, de plomb en quantité beaucoup trop importante pour qu’elles soient utilisées par les hommes et les animaux), et parce que le village est à la merci d’une inondation si le mur lâche – les villageois ont 7 minutes pour fuir, la mine Los Pelambres met donc la communauté de Caimanes en danger.
Par ailleurs, la région regorgeait de vestiges architecturaux très importants, et la mine, avant de construire son bassin, avait pour mission de tous les déplacer dans un parc archéologique créé pour l’occasion, le parc Monte Aranda, obligation qui n’a pas été respectée. Le parc archéologique est toujours en construction et de nombreux vestiges ont été perdus.

La gestion de l’eau au niveau national est le second problème de fond de Caimanes. À cause du Código de Aguas (1981), les ressources hydrauliques superficielles et souterraines ont été privatisées, elles peuvent donc être vendues et exploitées. C’est ce que le leader de l’assemblée décide de faire en 2007 en vendant ses terrains et les eaux de la commune. Il prive ainsi Caimanes de ses ressources en eau, désormais utilisées pour le déversoir. La principale activité de Caimanes était pourtant l’agriculture, et cette pénurie d’eau empêche ses habitants de pouvoir en vivre.

Le troisième problème de fond de Caimanes est la corruption notoire des autorités politiques et scientifiques et leur soumission au pouvoir économique, ici représenté par la mine Los Pelambres. Les résultats des trois tests de l’eau effectués pour déterminer si elle est contaminée sont controversés. L’officiel a été réalisé par l’Etat, alors que ce dernier est en relation étroite avec les propriétaires de la mine. Les deux autres rapports démontrent dans le détail en quoi l’eau est impropre à l’usage des hommes et des animaux.
Dans le même temps, la communauté de Caimanes, effarée par les pouvoirs économiques et politiques de la mine, a entrepris de communiquer sur l’horreur de sa situation : 11 villageois ont décidé d’entamer en 2012 une grève de la faim. Elle a duré plus de 80 jours et n’a pas du tout été couverte médiatiquement. Alors que cela fait 13 ans maintenant que les villageois de Caimanes luttent contre la mine Los Pelambres, personne au Chili n’a entendu parler de leur situation.
La communauté de Caimanes ne peut pas non plus compter sur les autorités politiques. L’ancien maire de Los Vilos n’a pas bougé le petit doigt pour leur venir en aide, tandis que le nouveau maire reste sur la réserve, non pas par manque de convictions mais parce que la vie l’a déjà bien éprouvé. Michelle Bachelet, dont la candidature aux élections présidentielles de novembre est soutenue par les propriétaires de la mine, reste très vague sur le statut qu’elle veut donner à l’eau (privée, publique ?). Le seul qui semble pouvoir épauler Caimanes dans sa lutte, est Marcel Claude, le candidat communiste, puisqu’il veut mettre en place une nouvelle constitution et promet une réforme du statut de l’eau. Mais il manque cruellement de couverture médiatique – et ne va donc probablement pas être élu, tandis que le reste de son programme ne convient pas aux villageois de Caimanes.
[Ndlr : Michelle Bachelet a été élue ce dimanche 15 décembre présidente du Chili].
Sans support médiatique et sans appui politique, il leur est donc très difficile de faire changer les choses.

Le problème de Caimanes semble ainsi irréversible : même si la mine Los Pelambres reconnaît les dommages qu’elle a causés, elle ne pourra lui rendre son eau. Les villageois ont donc fait évoluer leurs revendications. Ils se battent toujours par la voie légale pour la destruction du déversoir : cependant, aux dernières nouvelles, la pétition portée devant la Cour d’Appel pour sa destruction a été rejetée. La communauté de Caimanes, représentée par Cristian Flores et trois avocats, a donc demandé un recours en cour de Cassation et a le projet de porter l’affaire devant le Tribunal International de Londres.
En attendant, les villageois comptent sur la mine Los Pelambres pour qu’elle participe de l’issue positive de l’affaire. Ils voudraient qu’elle paye pour le déplacement du village entier, dans une zone plus sûre, à définir, ou alors qu’elle verse directement de l’argent aux villageois pour les dommages qu’elle a causés. La première option est cependant difficile à mettre en œuvre dans la mesure où certains ont vécu à Caimanes toute leur vie et sont extrêmement attachés à leur terre. Les origines indigènes de la plupart des villageois renforcent encore un peu plus leur cette fidélité. La deuxième option a aussi ses inconvénients : il ne faut pas oublier que c’est l’argent distribué au leader de l’assemblée du village et aux représentants des villageois qui a permis la construction du barrage en 2007 et a entraîné la discorde au sein de la communauté.
Pourtant, cette deuxième solution semble être l’alternative choisie par le Tribunal qui a exigé que la mine Los Pelambres verse 1700 millions de pesos (environ 3,5 millions de dollars) en reconnaissance des préjudices causés. Il commence ainsi à être reconnu officiellement que la mine est à l’origine de la situation dramatique dans laquelle se trouve Caimanes et qu’elle a effectivement contaminé l’eau.

Finalement, le dénouement idéal voulu par la communauté de Caimanes serait que le Chili et le monde tirent une leçon de cette affaire et que plus jamais des petites communautés se retrouvent à la merci de firmes multinationales. Pour cela, elle a besoin de visibilité nationale et internationale, par tous les moyens et d’un changement de législation sur l’eau. L’affaire Caimanes est loin d’être unique au Chili ou ailleurs, cependant elle se démarque parce que c’est la seule qui met aussi bien en évidence qu’il suffit simplement de payer pour faire fi de la loi.

La version de la mine

Il est évident que la version de la mine Los Pelambres diffère de celle des villageois. Terra Chile a posé au représentant de la mine, travaillant au musée du Cuivre « Centro Andrónico Luksic Abaroa » de Los Vilos, les questions qui fâchent. Voici ses réponses.
Ainsi, la pénurie d’eau que connaît Caimanes depuis quelques années n’est pas du tout due à la construction du bassin puisque la mine utilise les eaux des rivières Los Pelambres, Cuncumen et Choapa. La mine Los Pelambres n’utilise officiellement pas les eaux du Pupio. La région subirait depuis environ 5 ans une sécheresse conjoncturelle. Les documents officiels confirment que la mine a des droits sur la rivière Choapa, mais il n’est fait aucune mention de Los Pelambres, du Cuncumen ou du Pupio.
Apparemment les eaux de Caimanes ne sont pas contaminées : avant même l’installation de la mine et du déversoir, les tests effectués dans la région mettaient en évidence une eau trop riche en minéraux, et l’exacerbation de leur présence est due à la sécheresse.

Les élections présidentielles de novembre 2013 et la décision de la cour internationale d’arbitrage de Londres seront décisives pour Caimanes. En attendant une résolution juste de l’affaire, nous aussi pouvons contribuer à faire pencher la balance, en communicant sur l’affaire et en partageant cet article, entre autres suggestions.

Cassandre, de Terra Chile

En savoir plus sur l’affaire Caimane

  • La Gran Minería y los Derechos Indígenas en el Norte de Chile de Nancy Yañez y Raúl Molina (en espagnol). Les gouvernements chiliens qui se sont succédés ont travaillé à l’intégration du pays dans la mondialisation, et ils l’ont fait via l’implantation d’un modèle fondé sur l’exploitation des ressources naturelles. Ainsi, ils ont fait la promotion d’une économie qui doit croître rapidement, qui conçoit les richesses naturelles comme des produits de base et qui se fonde sur leur libre disposition. Cette stratégie, initiée dans les années 80 sous la dictature militaire, s’est vue renforcée par l’action des gouvernements démocratiques à compter de 1990, qui ont favorisé et approfondi les ajustements structurels de la législation pour permettre le développement du secteur, en accord avec les principes qui guident le libre marché. Sur les territoires des communautés indigènes du nord du Chili, des grands projets miniers ont été impulsés, grands projets qui font pression sur les écosystèmes, et en particulier sur les eaux, pourtant indispensables pour le développement de l’économie agropastorale propre à ces communautés. De telles initiatives ont causé d’énormes dommages aux peuples indigènes, à chaque fois qu’elles se sont traduites par la destruction de leur environnement, leur culture et l’érosion de leurs fondements économiques. L’Etat, en promouvant ces projets miniers n’a pas préservé de manière adéquate les droits des indigènes.
  • Lundi 13 janvier à la Maison de l’Amérique Latine à Paris (7ème) : Le modèle néo-libéral est-il compatible avec le droit de l’eau pour tous ? En savoir plus. À venir, le bilan de la conférence !