Tranquilles à Puerto Tranquilo
Ses habitants disent que la zone se transformera bientôt en Pucón ou San Pedro de Atacama : l’été dernier, sont passés par là 60.000 visiteurs. Cependant, les différentes institutions touristiques sur place, agences, lodges, refuges et autres, cherchent à préserver ce sentiment d’exception d’être l’unique explorateur de cette Patagonie sauvage.
Si l’on devait le mesurer scientifiquement – en tenant compte des kilomètres, ou des secondes qui passent – parcourir le chemin entre l’aéroport de Balmaceda et le village de Puerto Río Tranquilo (situé à 141 km au Sud de Coyhaique), devrait prendre 4 heures.
Nonobstant, certains éléments font, qu’en pratique, il est impossible de mesurer le temps que cela prend de parcourir ces 141 km. Comme les glissades du véhicule à Portozuelo, où l’on est le plus en altitude, à cause de la glace sur la route. Ou les pudús (plus petits cervidés du monde) qui traversent la route inopinément. Ou les explosions à Villa Cerro Castillo, dues aux travaux de construction de la Route Australe. Ou les fois où l’on s’arrête pour prendre en photos ces paysages magnifiques que l’on pense – à tort – ne jamais pouvoir admirer de nouveau.
Il y a peu de routes sur la planète qui traversent autant de Parc Nationaux, Réserves et Monuments Naturels en seulement quelques centaines de kilomètres. Il y a peu de routes qui conduisent, littéralement, au bout du monde. Ou au commencement d’un autre monde, presque irréel, comme une scène sauvage d’un roman de Francisco Coloane, comme si tout l’environnement de ce côté du Lac General Carrera avait décidé d’entrer en hibernation.
C’est ainsi qu’est la route qui mène à Puerto Tranquilo, un après-midi d’hiver. On ne voit ni backpackers faisant du stop, ni cyclistes couverts de la poussière levée par les véhicules qui avancent l’un derrière l’autre sur cette Route Australe. Il n’y a pas non plus de queue à la station-service ou d’agences de tourisme envahissantes qui offrent l’une après l’autre des tours aux Chapelles de Marbre ou au Parc Exploradores.
Ce qui est représentatif de ce qu’expérimentent les résidents de Puerto Tranquilo une fois que l’hiver s’en est allé. […]
Il est 9h30 du matin, mais le soleil n’a pas encore montré ses rayons à Puerto Río Tranquilo. Les arbres couverts de givre, les larges rues vides, l’inertie silencieuse du village – interrompue seulement par les poules qui semblent être décalées – nous empêchent d’imaginer le déferlement des foules l’été.
Dans le restaurant de l’Hôtel El Puesto, construit avec du bois la région, tout comme la cuisine, Francisco Croxatto, le propriétaire, nous offre encore une tournée de mate avant de commencer à prendre notre petit-déjeuner : pain intégral, miel maison, confiture de rose, fromages de la région, muesli et yaourt maison. Il aime le silence, l’atmosphère nostalgique de l’hiver. Il profite des derniers moments de la basse saison avant que son « Tranquilo » se transforme en Pucón ou San Pedro de Atacama.
C’est également cette analyse de la situation qui l’a poussé à consacrer son centre d’expéditions aux activités à l’air libre, qui sortent du tourisme classique, de masse. Par exemple, au lieu de visiter les Chapelles de Marbre en bateau, il vous propose de les découvrir en kayak. Cette formule lente, à ras de l’eau, permet d’entrer dans les secteurs plus étroits des chapelles – inaccessibles aux bateaux – et de préserver les cavernes des dommages provoqués par ces derniers.
L’une des routes les plus belles de la région est celle que nous allons parcourir ce matin, celle qui passe par la forêt, avant d’arriver aux glaciers.
À mesure que nous entrons dans cette forêt étroite et humide, nous apercevons lièvres gigantesques, condors dans le secteur de La Buitrera, et traversons une vallée aux cents cascades, fils d’argent sur un mur de granit, qui contrastent grandement avec les tapisseries vertes de mousse et de fougère. En suivant des yeux certaines de ces douches naturelles, il est possible de les voir confluer et se transformer en glaciers suspendus, dont la plupart n’ont pas de noms car il n’ont pas encore été explorés.
Le voyage dure un peu plus d’une heure. Nous nous arrêtons au km 52, au Sentier Mirador Exploradores, un circuit de canopy de 800m de long, que Francisco lui-même a construit, quand il a pu atteindre l’endroit avec son véhicule. Le circuit est constitué de passerelles de bois qui s’enfoncent dans les coihues, lengas, mañios, et canelos, et peut durer de 20 minutes à plusieurs heures pour ceux qui se laissent aller à observer le microcosme de fleurs basses, lichens, champignons humides et oranges qui semblent venir de l’époque des dinosaures.
C’est alors que la forêt fermée s’ouvre à de gigantesques rochers, et l’on arrive finalement au but : le mirador, et sa vue sur le glacier Exploradores, une perspective de 11 km, qui permet d’apprécier le début du Campo de Hielo Norte, et son environnement sylvestre, les rivières laiteuses, et les lagunes de déglaciation ; glacier de 22km, en forme d’éventail qui alterne les blocs de glace translucide avec des taches de terres, dues au reculement ; glacier qui culmine à la base du Mont San Valentín.
Depuis le mirador, nous pouvons voir également un circuit de marche sur glace avec crampons qui peut se faire en un jour, ou avec une nuit sur ce même glacier.
À cinq km de Puerto Tranquilo, nous trouvons l’île la plus grande du Lac General Carrera : l’île Macías. Même si les eaux du lacs peuvent rapidement se transformer en houles océaniques, la navigation n’est pas dangereuse, et ne dure pas plus de 15 minutes grâce à la Karut, nouvelle embarcation fermée, avec vue panoramique, qui permet d’explorer certains coins du lacs invisibles depuis la berge. Comme cette colonie de cormorans qui s’est installée sur un îlot voisin de l’île Macías. Nous sommes en plein milieu de la journée, mais avec la trajectoire elliptique du soleil d’hiver, qui dépasse à peine la crête des montagnes enneigées, toutes les photos terminent avec cette lumière magique de lever ou de coucher du soleil.
Nous débarquons dans la baie Amanda, une des 7 plages protégées que possède l’île Macías, et où se trouve le lodge de bois, qui nous accueille. Le Lodge Macías Retreat est un refuge de catégorie supérieure, avec une capacité de 9 personnes, par lequel les visiteurs peuvent accéder à un parc naturel privé de 250 hectares et en profiter comme s’ils étaient seuls au monde.
Carte et boussole en main, nous commençons notre exploration, comme déroulant le fil d’Ariane. Le paysage est recouvert de coiron (sorte d’herbe sèche et courte), de pâturage sec et jaune caractéristique de la steppe patagonne, mais cache dans ses vallées intérieures des panoramas sortis tout droit de contes pour enfants : une forêt de myrtes millénaires, environnée de marécages, une lagune camouflée, où nagent différentes espèces de canards, un cèdre allongé sur le sol, dont les racines ressemblent à des mains vieilles et osseuses, et qui se protège ainsi des vents d’été.
Contrairement à Puerto Río Tranquilo, il existe encore ici la possibilité de se sentir comme le premier explorateur. Non seulement il est possible de voir de très près certaines espèces telles que la buse bleue du Chili, ou le pic du Chili, mais on peut également ressentir cette proximité avec ces animaux, comme si même les plus sauvages d’entre eux ne craignaient plus la présence humaine.
Dans le lodge, il y a une salle commune, constituée de la cuisine, de la salle à manger et du salon, qui invite à terminer la journée avec le barbecue typique de Patagonie, l’asado al palo, ou le fruit de la pêche du jour. Elle invite également à se blottir au coin du feu, avec un livre, ou simplement pour admirer le coucher de soleil éternel de cette époque de l’année. […]
C’est vrai que, même s’ils ne le disent pas, tous ceux qui se sont installés dans cette zone il y a quelques années, quand elle était encore véritablement une terre de pionniers, ont compris : dans la Patagonie profonde, le temps et la distance sont loin de pouvoir se mesurer en kilomètres ou en heures.
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