Pablo Neruda

Je vais dire la légende
De celui qui s’est enfui
Et fait les oiseaux des Andes
Se taire au cœur de la nuit

Ces vers de Louis Aragon suffiraient presque à résumer le destin de ce personnage, si sa vie et son œuvre pouvaient tenir en ces quelques mots, début d’une chanson interprétée par Jean Ferrat : « Complainte de Don Pablo Neruda ».
Mais la vie du poète, témoin engagé de son époque, fut largement plus mouvementée.

Evénements majeurs de la vie de Pablo Neruda

De sa naissance le 12 juillet 1904 à sa mort le 23 septembre 1973, son existence sera faite de voyages, de récompenses, de deuils familiaux douloureux, et d’engagements politiques qui lui vaudront clandestinité et exil.

Critique littéraire, écrivain, diplomate, sénateur, membre du Parti Communiste chilien, Pablo Neruda a choisi son nom en hommage à un écrivain tchèque engagé, Jan Neruda (1834-1891), et publie sous ce pseudonyme, qui deviendra son nom officiel en 1943, son premier recueil de poèmes « Crepusculario » (Crépusculaire), en 1923.

Son œuvre majeure, le « Chant Général », célébration sociale, historique et culturelle du continent sud-américain et cri de révolte contre l’oppression, d’où qu’elle provienne, paraîtra en 1950.

En 1970, le Parti Communiste le désigne comme candidat à la présidence, mais il se retire en faveur de Salvador Allende qui sera élu.
L’année suivante, il reçoit le prix Nobel de littérature.

Lorsque le général Pinochet renverse Salvador Allende en septembre 1973, Pablo Neruda, affaibli par un cancer, meurt d’affliction quelques jours plus tard.

 

L'histoire du Chili

Theresa Fairweather
agence de voyage au Chili
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Bande sonore : Pablo Neruda déclame deux poèmes tirés du recueil « Vingt poèmes d’amour et une chanson désespérée » (1924)

  • poème #15 « Me gustas cuando callas » (« Tu me plais quand tu te tais »)
  • poème #20 « Puedo escribir los versos más tristes » (« Je peux écrire les poèmes les plus tristes »)

Ses mémoires, dans lesquelles il raconte avec émotion et sensibilité ses voyages et ses engagements, paraîtront en 1975 sous le titre « J’avoue que j’ai vécu ».

Je veux vivre dans un pays où il n’y a pas d’excommuniés.
Je veux vivre dans un monde où les êtres seront seulement humains, sans autres titres que celui-ci, sans être obsédés par une règle, par un mot, par une étiquette.
Je veux qu’on puisse entrer dans toutes les églises, dans toutes les imprimeries.
Je veux qu’on n’attende plus jamais personne à la porte d’un hôtel de ville pour l’arrêter, pour l’expulser.
Je veux que tous entrent et sortent en souriant de la mairie.
Je ne veux plus que quiconque fuie en gondole, que quiconque soit poursuivi par des motos.
Je veux que l’immense majorité, la seule majorité : tout le monde, puisse parler, lire, écouter, s’épanouir. »

Pablo Neruda, « J’avoue que j’ai vécu ».

On peut aujourd’hui visiter les trois maisons qu’il a fait construire au Chili (« La Chascona » à Santiago, « La Sebastiana » à Valparaiso, « Isla Negra » sur la côte Pacifique, au sud de Valparaiso).

Pour vous rendre sur ces lieux de mémoire, consultez notre module « dans les pas de Neruda« 

Biographie détaillée de Pablo Neruda

Né le 12 juillet 1904 dans la petite ville de Parral, province de Linares, Ricardo Neftali Reyes Basoalto perd sa mère peu de temps après.
Son père se remarie deux ans plus tard et s’installe à Temuco, capitale de l’Araucanie, région de lacs et de volcans au centre du Chili où le jeune Ricardo grandit et fréquente un lycée pour garçons de 1910 à 1920.

Dès cette époque, ses premiers textes sont publiés dans différentes revues et obtiennent des prix qui le font connaître. Dès lors, sa renommée ne cessera de grandir.

Durant cette période, il s’imprégnera de la culture indienne de cette région : à l’époque coloniale, c’était la frontière entre les terres des Indiens Mapuches (ou Araucans) et les territoires contrôlés par les Espagnols, le théâtre de heurts violents qui perdurèrent après le départ des Conquistadors, les Mapuches revendiquant jusqu’à la fin du XIXème siècle auprès du gouvernement chilien les terres dont ils s’estimaient spoliés.
Des conflits marqués par des exactions chiliennes : faut-il y voir la source de son engagement futur ?

A partir de 1921, inscrit à l’Institut Pédagogique de Santiago, il se prépare au professorat de français et découvre la littérature française.
Mais c’est en hommage à l’écrivain et poète tchèque Jan Neruda (1834-1891), qui prit une part active aux luttes politiques de son temps, qu’il a choisi en 1920 un pseudonyme, Pablo Neruda, sous lequel il publie son premier recueil, « Crepusculario » (Crépusculaire), en 1923.

Jusqu’en 1927, il dirige une revue et collabore à diverses publications en tant que critique littéraire, se consacre à l’écriture et édite notamment « Vingt poèmes d’amour et une chanson désespérée » (1924) où il aborde les thèmes de l’amour, de la solitude, de l’angoisse.

1927 : année charnière dans la vie de Neruda qui entre en diplomatie avec sa nomination au poste de consul à Rangoon en Birmanie. Ce sera le début de sa carrière politique, le début aussi de ses pérégrinations.
En 1928, il est consul à Colombo (Ceylan).
En 1930, il est nommé à Batavia (Java).
La même année, il épouse Marie-Antoinette Agenaar Vogelzanz.
En 1931 il est consul à Singapour où il demeure jusqu’à son retour au Chili un an plus tard.
En 1933, publication de « Résidence sur la terre », œuvre mature, manifestation de la détresse des hommes en proie à un monde qui s’effondre.

Il est nommé à Buenos-Aires où il rencontre Federico Garcia Lorca venu donner une série de conférences.
Un an plus tard, il est nommé à Barcelone. Sa fille Malva Marina naît le 4 octobre.
En 1935, il est en poste à Madrid et s’y trouve encore lorsqu’éclate la guerre civile espagnole en 1936, année où il se sépare de sa femme.
Son ami Garcia Lorca est fusillé en août : Neruda prend parti pour les Républicains et commence la rédaction de « L’Espagne au cœur ».
Relevé de ses fonctions, il part pour la France où il fonde, en 1937, avec César Vallejo, poète péruvien, le Groupe hispano-américain de soutien à l’Espagne.
Il retourne au Chili en octobre de la même année.

Mai 1938, mort de son père.
Octobre 1938, élection à la présidence chilienne du candidat du Front National Pedro Aguirre Cerda, qui restera en poste jusqu’en 1941.

En 1939, Neruda est nommé consul à Paris. On le charge d’organiser l’immigration vers le Chili des réfugiés espagnols, qui feront la traversée depuis la France à bord du cargo Winnipeg.

En janvier 1940, il poursuit la rédaction de ce qui deviendra le « Chant Général ».
En août, il est nommé consul général à Mexico.
En 1941, paraît  » Un chant pour Bolivar ».
Il voyage au Guatemala, puis à Cuba l’année suivante où le deuil le frappe encore : sa fille meurt loin de lui, en Europe.

En 1943, publication du « Nouveau chant d’amour à Stalingrad », et retour au Chili, après être passé par les Etats-Unis, le Panama, la Colombie, Le Pérou.

En 1945, il est élu sénateur des provinces minières du Nord et adhère au Parti communiste chilien.
1946 : son pseudonyme devient administrativement son patronyme officiel.

Le poète soutient la candidature de Gabriel Gonzalez Videla, candidat de l’aile gauche du Parti Radical, qui (après Jerónimo Mendez et Juan Antonio Ríos Morales, successeurs de Pedro Aguirre Cerda) est élu président de la République.

Guerre froide et troubles au Chili

Mais les débuts de la guerre froide et des troubles au Chili poussent Videla à se rapprocher de la droite.
Neruda, tel Zola, fait alors un discours au sénat, « J’accuse », reprochant au président de se vendre aux Etats-Unis.
En 1948, Videla expulse les communistes du gouvernement par une loi dite de défense de la démocratie.
Les manifestations contre cette loi scélérate (« ley maldita », ou loi maudite, comme l’appelaient les communistes) sont réprimées et aboutissent à la promulgation de la loi martiale dans le pays.
Le Parti communiste est également interdit, ce qui pousse ses militants à l’exil, et parmi eux, notre poète, qui entre d’abord en clandestinité avant de quitter son pays pour Paris en 1949.

De là, il se rend en Union Soviétique, puis en Pologne, en Hongrie, et se retrouve au Mexique en septembre 1949.
1950 : publication au Mexique (et clandestine au Chili) du « Chant Général », poème en quinze parties, à la fois célébration sociale, historique et culturelle du continent sud-américain et cri de révolte contre l’oppression, d’où qu’elle provienne, une œuvre majeure.

La même année, il voyage au Guatemala, puis en juin, il est à Prague, revient à Paris, part pour Rome, se rend en Inde pour rencontrer Nehru.
En novembre, son poème « Que réveille le bûcheron » lui vaut de recevoir, avec d’autres artistes, dont Picasso, le Prix International de la Paix.
De nouvelles éditions du « Chant Général » paraissent aux États-Unis, en Tchécoslovaquie, en Pologne, en Suède, en Roumanie, en Union Soviétique, en Inde, en Chine, en Palestine, en Syrie… Ses poèmes sont traduits dans toutes les langues.

En 1953 (Carlos Ibáñez del Campo ayant succédé à Gonzales Videla l’année précedente), il rentre au Chili et y reçoit le Prix Staline de la Paix.
Il entreprend de construire à Santiago une maison, « La Chascona ».

1954 : parution des « Odes Elémentaires » et « La vigne et le vent ».
Pour son cinquantième anniversaire, des écrivains et artistes du monde entier se rendent à Santiago afin de lui rendre hommage.

1955 : sa maison achevée, il s’y installe avec Mathilde Urrutia, puis repart pour l’Union Soviétique, la Chine, l’Italie, la France, le Brésil, l’Argentine.

1958 : il participe à la campagne pour l’élection présidentielle qui amènera Jorge Alessandri Rodríguez au pouvoir.

1959 : Neruda passe cinq mois au Venezuela pour assister à de grandes fêtes en son honneur. De retour au Chili, il commence à construire une autre maison à Valparaiso, « La Sebastiana ».

L’année suivante, il sera en Union Soviétique, Pologne, Bulgarie, Roumanie, Tchécoslovaquie, puis en Italie, et de là, Cuba, où sera publiée « Chanson de geste ».
En décembre est publiée l’édition définitive de « La Centaine d’amour ».

1961 : retour au Chili, puis nouveau périple sur le Vieux Continent, et de retour en 1962, il s’installe dans sa nouvelle maison.

1964 : parution de « Mémorial de l’île noire ». Il parcourt le Chili pour la campagne électorale qui amènera Eduardo Frei Montalva à la magistrature suprême.

1965 : voyages en Europe, puis aux Etats-Unis en 1966 et en Union Soviétique en 1967, année de création de sa seule pièce de théâtre « Fulgor y muerte de Joaquín Murrieta » (« Splendeur et mort de Joaquín Murieta »).

En 1970, le Parti communiste le désigne comme candidat à la présidence, mais il se retire en faveur de Salvador Allende qui sera élu.
Neruda est nommé ambassadeur à Paris. Publication de « L’Épée de flammes » et « Les Pierres du ciel ».

Le 21 octobre 1971, le prix Nobel de Littérature lui est décerné. Pablo Neruda devient ainsi, après Gabriela Mistral et Miguel Ángel Asturias, le troisième écrivain latino-américain honoré de la sorte.

En 1972, il commence la rédaction de ses « Mémoires », et, renonçant à son poste d’ambassadeur, il rentre au Chili.

Le 11 septembre 1973, un coup d’état militaire renverse le gouvernement socialiste, le président Allende se suicide dans le palais présidentiel encerclé par l’armée, le général Augusto Pinochet Ugarte prend le pouvoir.

Le 23 septembre, fatigué, atteint d’un cancer, affligé par les récents événements, Pablo Neruda s’éteint à Santiago du Chili.
Sa maison est saccagée, ses livres jetés aux flammes.
Ses funérailles, encadrées par un important dispositif militaro-policier, se muent en manifestation contre le régime.

De ce poète-voyageur ou voyageur-poète que fut Pablo Neruda, la vie et l’œuvre sont indissociables et témoignent à la fois de sa fécondité littéraire et de ses engagements politiques, qui lui vaudront de sévères critiques que son talent éclipsera.